Méthodologie CM1-CM2-6ème - Annexe atelier 2

Sealskin’s story, version simplifiée (Inuit)

En un temps qui fut, qui est maintenant et à jamais disparu et bientôt sera de retour, les jours de ciel blanc, les jours de neige blanche se succèdent… Et les petits points noirs qu’on aperçoit au loin sont des êtres humains, des ours ou des chiens. Ici, rien ne pousse pour rien et le vent souffle avec violence. Et c’est là, sur ce sol, que vivait un homme… Un homme si seul qu’au fil des ans, les larmes avaient creusé deux abîmes sur ses joues.

Il essayait de sourire, d’être heureux. Il chassait, posait des pièges et son sommeil était bon. Mais il éprouvait le besoin d’une compagnie humaine. Un soir, il chassa après la tombée de la nuit, mais il était toujours bredouille. La lune montait dans le ciel et illuminait la banquise lorsqu’il arriva en vue d’un rocher qui se dressait sur la mer.

Il s’approcha doucement en pagayant, et là, sur ce majestueux rocher, dansait un groupe de femmes, nues comme au jour de leur naissance. Les femmes semblaient faites du lait de la lune et sur leur peau brillaient de petites taches d’argent pareilles à celles des saumons au printemps. Leurs pieds et leurs mains étaient longs et très gracieux. Elles étaient si belles que l’homme resta cloué de stupeur dans son bateau, tandis que l’eau venait battre la coque et le rapprochait du rocher. L’homme, ébloui, ne savait que penser. Mais la solitude qui pesait sur sa poitrine comme dépouille humide disparut soudain et, presque sans savoir ce qu’il faisait, il bondit sur le rocher et déroba l’une des peaux de phoque qui se trouvait là avant de se dissimuler derrière un affleurement.

Bientôt, il entendit l’une des femmes crier quelque chose d’une voix qui était la plus belle qu’il eût jamais entendue. Les femmes revêtirent alors leur peau de phoque et une par une se glissèrent dans la mer avec des petits cris de joie. Toutes, sauf une, qui cherchait partout sa peau de phoque. En vain. L’homme quitta alors son abri et lança :

  • Femme, sois mon épouse. Je suis un homme seul, si seul.
  • Je ne peux pas être ton épouse, répondit-elle, car je suis de celles qui vivent en-dessous.

L’homme insista :

  • Sois mon épouse, répéta-t-il. Dans sept étés, je te rendrai ta peau de phoque et là, tu pourras partir ou rester, comme tu voudras.

la jeune fille dit à regret :

  • Je viens avec toi et dans sept étés, il en sera décidé.

 

Ils eurent un enfant. En hiver, sa mère lui racontait des histoires sur les créatures qui vivent sous la mer, tandis qu’avec son long couteau, son père découpait un ours ou un loup en petits morceaux. Quand sa mère portait l’enfant au lit, elle lui montrait les nuages qu’on apercevait par le conduit de fumée. Elle lui décrivait les formes qu’ils prenaient, sauf qu’au lieu de les comparer au corbeau, à l’ours et au loup, elle lui parlait des morses, des baleines, des phoques et des saumons, car elle ne connaissait pas d’autres animaux.

Mais le temps passant, sa peau vient à se dessécher, desquama, puis se craquela. Ses paupières pelèrent, ses cheveux commencèrent à tomber. Elle devint d’une pâleur mortelle et se mit à boiter. Elle se mit à tendre les mains devant elle pour trouver son chemin, car sa vue s’obscurcissait.

Il en alla ainsi jusqu’à ce qu’un soir, l’enfant fût réveillé par des cris et se dressa sur sa couche. Il entendit un rugissement d’ours. C’était son père qui réprimandait sa mère. Il entendit des pleurs semblables à un tintement d’argent sur de la pierre. C’était sa mère.

  • Tu as caché ma peau de phoque il y a sept longues années et maintenant le huitième hiver arrive. Je veux qu’on me rende ce dont je suis faite, gémissait la femme phoque.
  • Et toi, femme, si je te la rends, tu me quitteras ! grondait son mari.
  • Je ne sais ce que je ferai. Ce que je sais, c’est que je dois avoir ce à quoi j’appartiens.
  • Tu me laisseras alors sans épouse et l’enfant sera sans mère. Tu es mauvaise !

Sur ces mots, l’époux sortit brutalement et disparu dans la nuit.

 

L’enfant aimait énormément sa mère. Il eut peur de la perdre et pleura longuement. Il finit par s’endormir avant d’être réveillé par le vent. Un vent étrange qui semblait l’appeler…

Il quitta son lit et se précipita dans la nuit semée d’étoiles. Il suivit en courant l’appel de son nom. Il courait si vite qu’il dégringola la falaise et buta sur une pierre. Non ! C’était plutôt un ballot ! Il déroula le ballot et le secoua : c’était la peau de phoque de sa mère. Il pouvait sentir son odeur. Il porta la peau à son visage et respira son odeur. Et pendant qu’il faisait cela, l’âme de sa mère le traversa comme un vent d’été soudain.

Le petit garçon escalada la falaise et rentra chez lui en courant, la peau de phoque volant derrière lui. Il se laissa tomber au sol. Sa mère les releva, lui et la peau de phoque, fermant les yeux de gratitude, car l’un et l’autre étaient saufs. Elle prit l’enfant, le mit sous son bras et se précipita vers la mer rugissante.

  • Maman, non, ne me laisse pas ! cria l’enfant

Et il était visible qu’elle voulait rester avec son enfant, oui, elle le voulait, mais quelque chose de plus ancien que lui, de plus ancien qu’elle, de plus ancien que le temps l’appelait.

  • Non, non, non, maman ! suppliait le petit garçon.

Elle se tourna vers lui et ses yeux étaient emplis d’un amour terrible. Elle prit le visage de l’enfant entre ses mains et lui insuffla sa douce respiration dans les poumons, une fois, deux fois, trois fois. Puis en le tenant précieusement dans ses bras, elle plongea sous la mer, et s’y enfonça de plus en plus profondément. Et la femme phoque et son enfant respiraient parfaitement sous l’eau.

 

Ils nagèrent ainsi jusqu’à ce qu’ils parviennent au havre sous-marin des phoques, où dînaient et chantaient, dansaient et parlaient toutes sortent d’animaux. Elle y retrouva sa famille et ses amis. Ainsi les jours et les nuits passèrent, sept pour être exact, au cours desquels la femme retrouva son lustre, sa belle couleur sombre. Elle eut de nouveau une bonne vue. Elle nageait sans être handicapée. Et vint le temps de ramener l’enfant à la terre. Cette nuit-là, sa mère le prit et nagea vers le monde du dessus. Là, elle déposa doucement son fils sur les rochers du rivage, dans la clarté de la lune.

Sa mère promit : “ Je serai toujours avec toi. Il te suffira de toucher ce que j’ai touché, le petit bois pour allumer le feu, mon couteau, mes sculptures de phoques et d’otaries en pierre et je soufflerai dans tes poumons un vent pour que tu chantes tes chants.”

Après avoir maintes fois embrassé l’enfant, sa mère s’arracha à lui et se laissa glisser dans la mer, puis, après un dernier regard, plongea sous la surface. Et parce-que son temps n’était pas encore venu, l’enfant resta.

Le temps passa. Il grandit et il devint un superbe joueur de tambour, un merveilleux chanteur et conteur. On racontait qu’il en était ainsi parce-qu’enfant, il avait été emmené dans la mer par les grands esprits des phoques et qu’il avait survécu. Maintenant, on peut encore le voir dans les brumes grises du matin. Après avoir attaché son kayak, il s’agenouille sur un certain rocher sur la mer et semble parler à un certain phoque, une femelle qui vient souvent près du rivage.