Introduction

Le projet Oratio mix est né suite aux retour d’un autre projet européen associant des structures culturelles avec des écoles pour penser des ateliers artistiques à mettre en œuvre en classe, sans la participation d’un intervenant extérieur, et venant contribuer à l’intégration des élèves migrants dans les classes. Ce projet, Grow From Seeds, a été initié et conduit par la Gaiety School of Acting de Dublin associée à l’école Kildare Educate Together. Sur ce projet, soutenu également par le programme Erasmus + en 2018, La Transplanisphère et l’école élémentaire des Fougères étaient déjà partenaires et ont contribué à tester et à améliorer la méthode proposée. Lors de l’évaluation, il est apparu que les séquences proposées étaient trop lourdes pour les enseignants qui manquaient déjà de temps pour arriver à bout de leur programme officiel. D’autre part, cette méthode ne s’adressait qu’aux élèves de cycle 3. Forts de cette expérience, nous avons réfléchi à des formats d’ateliers évolutifs et adaptables en fonction des niveaux, des matières et des besoins des enseignants et des élèves. Nous nous devions de faire en sorte que les ateliers artistiques, en plus de répondre à un besoin sociétal d’éducation à la différence, aux principes démocratiques et au développement de l’empathie, se fondent parfaitement dans les programme scolaires afin de venir enrichir les ressources pédagogiques des enseignants pour traiter le programme “classique”. Le défi était donc de créer une méthode utilisant les outils et les techniques de la création artistique pour instiller de l’éducation interculturelle en classe en même temps qu’une offre d’apprentissage alternatif, pour une plus grande inclusion des élèves. Nous avons également décidé de développer notre méthode autour de l’oralité afin de répondre aux attendus des nouvelles directives de l’éducation Nationale en France, entre autre, et aux vues des résultats des pays européens usant depuis longtemps de cette pratique et dont les résultats ont fait leur preuve, comme nous pouvons l’observer en Finlande ou au Danemark. Pour cela, il nous fallait faire un tour d’horizon des pratiques éducatives dans les systèmes scolaires de notre partenariat : la France, l’Allemagne, l’Italie et le Portugal. Nous avons également fait appel à l’expertise de chercheurs en pédagogie et dans le domaine interculturel. Puis, nous avons bien entendu effectué l’évaluation de notre méthode suite à des phases de test en classe de différents niveaux et dans les différents pays du partenariat. Ce document est la synthèse de ce travail.

“Il ne suffit pas de proposer à l’enfant des savoirs, les expériences, les vécus sont tout aussi importants ! l’enseignement fondamental devrait être axé sur l’épanouissement de l’enfant sur tous les plans.” (Sihvonen, 2005)

On constate que ne nombreuses initiatives sont menées dans les différents pays. L’une d’elle, Coup de Pouce Clé, initiée par l’association Apfée en France vise à compenser l’absence de livres et à valoriser la lecture et la culture écrite. Dans ce programme, 5 élèves de CP constituent un petit groupe pris en charge par un animateur chaque soir d’école. Pendant une 1h30, ces élèves sont invités à échanger, à jouer ensemble à des jeux de lecture et à écouter une histoire. Cette initiative s’inspire de programmes américains tels que Abecedarian et Perry Preschool project qui sont des expériences menées dans les mêmes optiques mais à destination des plus petits, avant même l’entrée à l’école. L’objectif est le même : réduire les inégalités dues a priori à des différences d’accès aux pratiques et aux objets culturels. Nous pointons, de notre point de vue, une première problématique d’approche essentielle puisque la notion de pratique et d’objet culturel est ici très occidentalisée et met à distance toutes les autres. Au lieu de se servir des ressources offertes par les différentes pratiques des différentes cultures, elle vise à “faire rentrer dans le moule” des élèves. D’autre part, l’objectif d’inclusion est secondaire : on doit dans un premier temps aider ces élèves à “rattraper leur retard” en retrait des autres, pour pouvoir ensuite affirmer qu’ils ont pu bénéficier d’une “remise à niveau”. Ce qui signifie ici de les extraire de leur groupe classe pour les intégrer dans un temps précis à un groupe étiqueté comme étant en difficulté. Ce qui n’aide pas l’enfant dans la vision de lui-même, or une vision positive de soi est un élément fondamental pour la motivation et les bonnes conditions d’apprentissage. En outre, l’évaluation de cette initiative met 5 en lumière que l’effet réel porte sur le développement du goût de ces élèves pour la lecture et les matières scolaires. Mais l’effet n’est pas marqué sur l’acquisition de compétences. Autre point de difficulté, le coût de l’opération. Tout comme Abecedarian ou Perry Preschool Project, CPC est onéreux : 1200€ par enfant, ce qui correspond à 20% du coût de scolarité. Ces programmes très coûteux sont dès lors assez difficile à mettre en place car ils nécessitent des recherches de financements en amont de leur mise en œuvre, et impossible à généraliser à grande échelle. Un dernier point faible réside dans la formation des animateurs. L’évaluation rend compte d’un grand turn over dans les équipes dû au statut précaire des animateurs et aux horaires de travail compliqués (1h30 en fin d’après-midi quatre fois par semaine). Il est difficile d’ancrer les animateurs dans les écoles s’ils ne sont pas des enseignants. Et parfois, ils peuvent manquer d’information sur la situation des élèves qu’ils ont en charge ; des informations qui pourtant leur permettraient de pouvoir ajuster leur positionnement pour le bien des élèves

“Lorsque les enfants ont librement accès au dialogue, les élèves exercent sans crainte leur langage dans toutes ses dimensions : argumentatives, expressives, communicatives, narratives…” ( Fahnoe Lund, 2003)

L’expression orale est mise en avant dans le système éducatif français depuis la dernière réforme du baccalauréat, avec notamment le Grand Oral. Mais nous parlons encore ici d’oral scolaire. Nous avons d’un côté la parole du savoir, détenu par le professeur, qui va du “maître” vers l’élève. C’est le dialogue pédagogique tel qu’il a été développé par les fondateurs de l’École Républicaine de la IIIe République. De l’autre côté, nous avons l’oral comme examen de l’élève. Ces deux paroles découlent d’une prescription institutionnelle instaurant un rapport d’autorité, un positionnement hiérarchique et une norme scolaire en posant le cadre de ce qui se dit ou non. Ici, l’oral doit se conformer à la culture écrite. Sa seule fonction est l’acte scolaire et se résume à une démonstration. C’est ce qui mène à l’expression “parler comme un livre”. Mais il y a alors peu de place pour l’expression personnelle, la communication et la créativité. Or, comme l’énonce Claude Hagège en 1985, l’humain est un être de paroles qui a besoin d’échanges et de paroles pour apprendre et transmettre. Les pédagogues de l’oralité, que nous citons plus loin dans les chapitres de ce document, donnent une place centrale à la parole dans la construction des savoirs individuels et collectifs, mais également dans la construction de l’individu en tant que tel. Ils souhaitent s’éloigner d’une vision élitiste et normative de l’enseignement. En tant qu’héritiers des idées de Comenius, de Rousseau et de Pestalozzi, ils voient l’instruction de l’être humain dans une perspective humaniste et universelle. On parle alors du concept de parole vivante, en opposition à la parole institutionnelle. Elle met en jeu la création et la communication bien plus que l’accumulation ou la restitution quantitative de connaissances. La parole est dialogique, communicante. Elle favorise l’interaction sans occulter l’identité du sujet. Le processus d’apprentissage s’appuie sur toutes les dimensions de l’être : le corporel, l’intellectuel, le verbal et le sensoriel.

“En Finlande, l’école, contrairement à d’autres pays, n’est pas considérée comme un lieu de savoir. Bien plus, c’est un lieu de vie où les élèves doivent apprendre à s’intégrer, à interagir avec les autres, à prendre confiance.” (Mottot, 2006)

La pédagogie orale a fait ses preuves dans les systèmes éducatifs nordique grâce à sa philosophie qui fait de l’expérience humaine et sociale des atouts qui facilitent l’accès aux savoirs. Apprendre la responsabilité et la collaboration sont une perspective d’éducation à la démocratie. Ceci passe par la prise en compte du climat affectif de la classe. Sur ce point, nous retrouvons des similitudes avec la pédagogie Freinet. Il convient alors de considérer l’élève pas uniquement comme un être pensant mais aussi comme un être vivant. Avec le projet Oratio mix, nous avons souhaitez pour mettre deux principes, non pas en opposition, mais en continuité et en complémentarité afin de favoriser le développement de 6 l’enfant et de l’adolescent et d’offrir à chacun d’entre eux l’opportunité d’appréhender de la façon qui lui convient les apprentissages scolaires : écouter et dire / lire et écrire.