Chapitre II : Les corps de la culture
a - Corps physique
Le pédagogue de référence en la matière demeure le chercheur et prêtre jésuite du début du XXème siècle Marcel Jousse.Ces travaux portent sur l’oral dans ses pratiques mais également sur la gestuelle, la rythmique et la musicalité. Il avance l’importance du geste dans l’acte de mémorisation. Il est d’ailleurs considéré comme l’initiateur de l’anthropologie du geste. Il intervient plusieurs fois à la Sorbonne dans les années 30; Toutes ses interventions portent la mention suivante : “Les travaux anthropologiques de M. Marcel JOUSSE ont pour but de rechercher une liaison entre les disciplines psychologiques, ethnologiques et pédagogiques.”
Trouver sa voix/voie : travail du corps comme d’un outils et concept de “Translangangeance” de Joëlle ADEN
Olga Da Silva Marques :
“J’ai un peu de mal avec les définitions, je pense qu’une définition, c’est déjà formater une idée et la mettre dans une boîte bien fermée. Ce que j’entends par là c’est en fait qu’il faut faire très attention aux différentes cultures des étudiants qu’on a en classe. Pas seulement au niveau de ce qu’ils disent, mais surtout au niveau du mouvement du corps. Le fait qu’on ait plusieurs nationalités en cours, cette diversité nous permet de travailler les différences entre les étudiants par rapport à leurs corps, et donc d’accepter les différences culturelles, cette relation au corps qui est différente. Quand ils comprennent que c’est parce qu’ils sont en cours de langue et que c’est une pratique, petit à petit, ils adhèrent et ils changent leur attitude car ils comprennent que c’est parce qu’on est dans ce contexte d’apprentissage d’une langue par une autre méthode que la méthode “traditionnelle”. Je pense aussi que quand on a ce genre de classe, pour l’enseignement des langues, c’est important de faire ce qu’une auteure appelait « translangangeance ». C’est un concept de Joëlle ADEN, une professeure académique qui travaille les liens entre l’enseignement et les pratiques artistiques. Elle défend qu’on ne devrait pas imposer l’enseignement d’une seule langue dans la classe, justement parce qu’il y a plusieurs nationalités, et qu’on devrait accepter toutes les langues présentes dans la classe et être dans ce phénomène de « translangangeance » pour faire apprendre une langue déterminée. C’est ma vision des choses : j’accorde beaucoup d’importance au mouvement du corps, c’est à partir du corps qu’on va vers le verbal. C’est parce que je fais des improvisations corporelles que je fais émerger la langue ou une situation imaginée, où je dois mettre des mots. Les mots peuvent être dans n’importe quelle langue. C’est à l’enseignant de faire en sorte que petit à petit ce qu’ils veulent exprimer soit dans la langue qu’on est en train d’apprendre : portugais, français, italien, etc.
Concernant l’éloquence, normalement, ce terme est lié au verbal. Je pense que pour avoir une bonne éloquence il faut tenir compte non seulement du verbe, mais aussi de tout le corps, tous les gestes, l’expressivité corporelle. Il faut se sentir bien avec soi-même, en lien avec son corps. C’est pour ça que ma première étape dans mes cours, c’est des exercices où on travaille en silence, juste le corps. On commence par là. C’est très important pour être éloquent, pour être un bon communicateur, pour communiquer d’une façon vivante, passionnée, que la relation au corps soit bien travaillée. Je commence toujours mes cours de langue par des exercices sans paroles, justement pour atteindre ce que l’on entend dire par éloquence : bien s’exprimer, être dynamique, être un bon communicant, être en relation avec son public. On travaille beaucoup le regard, par exemple. Est-il possible d’être éloquent sans regarder son public ? Or, la plupart des étudiants ont du mal à affronter le public, à se regarder : c’est la relation au corps qu’il faut travailler en premier lieu dans un cours de langue. Pour cela, les apports des pratiques artistiques, des comédiens, des compagnies qui travaillent avec des professeurs de langue sont bénéfiques. Leur collaboration est très importante, car on peut s’inspirer des exercices 14 qu’ils proposent pour travailler ces premières étapes vers l’éloquence.”
Mettre des mots sur des maux : l’expression orale régule et désamorce les conflits
Ratiba Ayadi :
“L’art oratoire, l’art de l’éloquence, permet de lutter contre la violence, que ce soit la violence physique ou la violence verbale, parce qu’elle apprend à des personnes à mettre des mots. Quand une personne tombe dans l’insulte ou pire dans la violence physique d’un époux, c’est une personne qui ne sait pas s’exprimer autrement. Peut être même souvent, ce sont des personnes qui voudraient s’exprimer avec des mots, mais elles pensent parfois, à tort ou pas, ne pas les avoir, ne pas avoir les moyens de s’exprimer. Avoir un vocabulaire riche et nuancé, c’est un vrai outil dans la vie. Et c’est ça qui est dramatique dans notre société. Il faut des endroits où, ces jeunes là, des jeunes ou des adultes, sont et se sentent écoutés. Dès lors qu’on donne la capacité à une personne de s’exprimer et de se faire comprendre,je suis assez certaine qu’il y aurait beaucoup, beaucoup moins de violence dans une société. “
Nous avons rencontré Pierre Chiron, historien, philologue et expert en art oratoire afin de mieux comprendre les rouages qui se cachent derrière la notion d’éloquence.
Savoir s’exprimer avec éloquence, c’est être capable d’argumenter de manière convaincante tout en touchant son auditoire. La mise en place d’un grand oral lors des épreuves du baccalauréat atteste de l’importance de cette compétence humaine. Pierre Chiron, historien, philologue et auteur de Manuel de rhétorique. Comment faire de l’élève un citoyen (Les Belles Lettres, 2018), nous explique les nombreux bénéfices que la collectivité tout comme l’individu à titre personnel peuvent retirer de la maîtrise de cet art.
“Démocratie et art oratoire, c’est exactement la même chose”, affirme catégoriquement l’historien. Parce que transmettre les techniques d’éloquence à l’ensemble de la population le plus tôt possible permet de réduire les écart de langages, de maîtriser un vocabulaire plus riche et par conséquent, d’atténuer les inégalités socioculturelles. Ces outils permettent de démontrer avec clarté nos pensées et nos émotions. En sachant manier la langue, en utilisant les termes justes, nos échanges avec autrui sont plus fluides et plus empathiques. En bref, nous parvenons plus facilement à nous comprendre et à dialoguer les uns avec les autres. Par ailleurs, en donnant aux individus des techniques pour élaborer un discours plus fluide et des pensées plus précises, une sorte d’exigence déontologique va se développer. En effet, Pierre Chiron croit en ce cercle vertueux : “ quand on a appris à faire de beaux discours, on ne va pas faire de beaux discours pour énoncer des idées ignobles. Il va y avoir une sorte de préoccupation éthique”.
Rechercher une façon éloquente de lutter contre la violence va ainsi naturellement s’opérer. “On va chercher à parler plutôt que de cogner”, exprime crûment Pierre Chiron qui ajoute qu’il n’est “pas du tout d’accord de dire que la violence se substitue à la parole. C’est la parole qui est seconde. Je pense qu’au départ vous avez des affrontements qui sont de type violent. La question c’est de savoir comment persuader quelqu’un de renoncer à sa supériorité physique”.
Pour résumer, l’art oratoire est un véritable dispositif qui permet d’engendrer un cercle vertueux dans lequel la lutte contre la violence, les incompréhensions et les inégalités socioculturelles prédomine. 15 Si nos cultures diffèrent, notre base biologique est similaire. Et, en tant qu’animal social, nous sommes comblés lorsque nous parvenons à nous épanouir dans la communication. “Très franchement, je pense qu’on est beaucoup plus heureux quand on s‘exprime mieux (…) le cheval est heureux quand il court parce qu’il est très apte à courir, de la même façon l’être humain est heureux quand il profite de ses capacités sociales ”, conclut Pierre Chiron.
Seamus Kearney, spécialiste de l’art oratoire, nous délivre dans un entretien quelques astuces afin de comprendre comment enseigner l’art de l’éloquence dans un contexte multiculturel.
Dans la vie, vous vous retrouverez forcément dans une situation où il faudra savoir vous exprimer devant les autres. Lors d’un entretien d’embauche, devant une classe, pendant une réunion de famille ou bien au cours d’une soirée entre amis. En maniant les mots avec habilité, vos pensées sont plus précises, vos idées s’affinent, vous êtes capable de convaincre un auditoire, de souder un groupe, de désamorcer un conflit… “L’art oratoire est une compétence cruciale qui doit être enseignée le plus tôt possible”, insiste Seamus Kearney au cours de l’entretien vidéo qu’il nous a accordé.
Pour ce présentateur, journaliste, consultant média et coach en art oratoire à l’école de management de Lyon, être capable de partager ses réflexions et ses émotions est essentiel. Cet exercice est cependant loin d’être inné et notre culture impacte notre façon de communiquer. Par exemple, relève Seamus, “dans certains pays, ils vont considérer que tu utilises trop tes mains ou que tu mets trop tes émotions en avant ”.
Selon ce professeur d’art oratoire, il est important de respecter les différents modes de communication. Toutefois, les élèves doivent avoir conscience des techniques oratoires qui sont à leur disposition. “Je n’ai jamais dit à mes élèves « c’est mal ». Ce n’est pas comme ça qu’on doit communiquer. C’est intéressant que vous ayez fait ça. L’avez-vous décidé ? Ou l’avez-vous fait sans raison ? Est-ce ainsi que vous voulez être perçu ? Chacun doit faire son propre chemin quand il s’agit de communication. Il suffit d’être conscient des outils ”
Cette prise de conscience qui s’acquiert dès le plus jeune âge doit être sans cesse entraînée car “il ne faut pas que la prise de parole soit épisodique.” souligne-t-il.
Plus nous nous exprimons régulièrement, plus nous sommes à l’aise à l’oral et plus nous nous comportons naturellement face à un auditoire. Pour exceller dans cet exercice, il convient d’après Seamus Kearney, de faire corps avec son sujet et de savoir le raconter en s’impliquant émotionnellement. Pour ce faire, les techniques théâtrales sont les bienvenues. “Nous devons permettre la créativité, laisser entrer les émotions, il faut être capable de respirer le sujet (…) c’est là où le théâtre a du bon, il amène ces concepts (…) ce n’est pas le contenu qui est le plus important, c’est avant tout le langage corporel et la respiration qui comptent ”, ajoute-t-il. En effet, le langage non verbale, soit l’attitude générale, a un impact 65% supérieur à celui de la communication verbale selon l’école de Palo Alto.
Selon lui, les enseignants doivent s’assurer que les élèves n’envisagent pas une présentation orale comme un test de leurs connaissances ou de leur intelligence puisqu’il s’agit plutôt de les amener à exprimer ce qu’ils ressentent sur un sujet.
Pour ce faire, les élèves ne doivent pas hésiter à s’approprier les outils multimédias à leur disposition. “ Beaucoup d’anciens moyens de communication changent et les profs doivent s’adapter et encourager leurs élèves à s’en servir. C’est dû en partie à cause du Covid, qui change notre façon de communiquer. mais je pense que cela se produit depuis un certain temps de toute façon; j’utilise des outils en ligne avant même le Covid. ”, conclue-t-il.
Savoir s’exprimer est un art plus qu’un don. Pour le maîtriser, différentes techniques et codes sont à notre disposition. Pierre Chiron, historien spécialiste de la rhétorique, philologue et auteur du Manuel de rhétorique. Comment faire de l’élève un citoyen (Les Belles Lettres, 2018) nous explique en quoi consiste ces outils qui remontent à l’Antiquité et comment les appliquer efficacement dans notre système scolaire actuel.
« J’avais conscience de l’utilité de ces exercices, je me suis dit qu’il fallait donner une forme digeste à ce que je considère comme une espèce de trésor”, commence-t-il à nous expliquer. Enfoui dans ce trésor, se dissimule un exercice particulièrement précieux pour l’auteur. Il s’agit de l’éthopée. Cette pédagogie consiste à préparer un discours oral qui reconstitue la façon de parler d’un personnage sociologiquement marqué (un jeune de cité par ex) sur une occasion un peu extraordinaire (qui découvre la mer par ex). En prenant un rôle qui n’est pas le nôtre, en se mettant à la place de l’autre, en utilisant sa façon de parler, on peut ainsi mieux le comprendre et c’est l’objectif de cet exercice de style que l’on pourrait qualifier de théâtral. Les professeurs peuvent mettre en place d’autres exercices, en créant des espaces de débats fictifs par exemple, en utilisant les outils modernes à notre disposition (Powerpoint par ex) ou en réfléchissant à des moyens qui permettent aux enfants de faire le récit d’eux-mêmes. Car comme le développe Pierre Chiron, “C’est de ça dont on a besoin aujourd’hui. D’apporter aux mômes des mots qui leur permettent de verbaliser leurs expériences”.
Selon ce spécialiste de la rhétorique, les élèves devront maîtriser 5 tâches principales pour parvenir à devenir de bons orateurs, telles que “la recherche et la découverte des idées, la mise en place du propos, la formulation, l’expression, la mise en corps, et la mnémotechni”, énumère-t-il.
En d’autres termes, cela passe ainsi par une veille d’idées qu’il faut ensuite organiser dans un plan avant de réfléchir au style à adopter et à sa mise en place théâtrale. Enfin, il suffit de mémoriser le discours préparé pour l’oraliser.
Ces capacités oratoires peuvent s’acquérir avant la sixième si des journées banalisées sont mises en place régulièrement et tout au long du cursus scolaire. Car, si des initiatives telles que la mise en place du grand oral du bac sont positives, elles restent encore insignifiantes pour avoir un véritable impact.
Selon Pierre Chiron, l’enseignement à la française ne favorise pas assez l’oral et la participation des élèves qui devraient être acteurs de leur formation. Il est essentiel de développer ces exercices très tôt, 17 pour véritablement modifier les chances scolaires des enfants et ainsi, réduire les inégalités socioculturelles. Car comme le souligne l’expert en art oratoire : “le capital lexical d’un enfant à 6 ans est prédictif de son avenir scolaire”.
b - Corps social
Trois figures fondamentales de la pédagogie de l’oralité inspirent le projet Oratio mix.
Le père de la pédagogie par l’oralité est sans conteste NFS Grundtvig. Il développe au XIXème siècle une pédagogie narrative axée sur la relation et l’interaction. Il considère la parole comme un outil dynamique essentiel à une société démocratique. Il préconise l’usage du débat, de la conférence et de la collaboration dans les apprentissages. Il aborde l’éducation comme visant à former l’être dans son humanité avant toute finalité sociale ou institutionnelle. “C’est avant tout le sujet dans sa nature sensitive, communicante et réflexive qui est visé dans cette philosophie éducative de nature anthropologique” (1). Il ouvre des écoles appliquant cette pédagogie destinées à tous et en particulier au “petit peuple” : enfants comme adultes, riches ou pauvres sans distinction.
Dans ces écoles, interviendra notamment Christen Kold, instituteur qui posera les bases de la pédagogie par le chant, la narration et la coopération qui vise à constituer le fondement des comportements solidaires et démocratiques. Aujourd’hui encore, son travail est le socle des programmes scolaires danois. Cette pédagogie utilise les exposés, le dialogue et la recherche collaborative comme outils d’apprentissage. L’erreur et l’incertitude font partie du processus de recherche et d’apprentissage à part entière.
Enfin, nous noterons également le travail de Martin Buber dont la pédagogie repose sur le principe de la rencontre, du dialogue et de l’inclusion, bien que ces travaux soient essentiellement à destination des adultes.
Une histoire de codes
Ratiba Ayadi
“Mon but, c’est de leur transmettre des codes. Ce n’est pas d’arriver avec une posture de grand savants, non, c’est plutôt de leur dire et de leur expliquer que ce sont ces codes, d’expression, de langage, de tenue, de prestance, qui permettent à ceux qui les maîtrisent de se faire une place dans beaucoup de sphères de la société. Et donc, ma mission pour eux, c’est leur transmettre ces codes pour qu’ils puissent se faire, s’ils le veulent, leur place dans différentes sphères de la société. Il y a quelque chose que j’ai remarqué, notamment, c’est cette question de regard. Regarder quelqu’un dans les yeux : dans beaucoup de cultures, regarder un aîné ou un supérieur hiérarchique dans les yeux, c’est un signe de défi, c’est un signe de manque de respect. Et plusieurs fois, notamment des étudiants, des élèves, venant d’Afrique de l’Ouest m’ont expliqué qu’ils n’avaient pas à me regarder dans les yeux parce que je suis professeur et que eux étaient élèves et que dans leur éducation on ne regarde pas le professeur dans les yeux, car c’est un signe de manque de respect. Donc, la manière de s’exprimer, les codes d’expression, de l’éloquence, dépend beaucoup de la culture dans laquelle on a été bercé, dans laquelle on a grandi et a fortiori, si on a grandi dans un milieu où il y a une grande richesse culturelle et interculturelle, comme ce qui est le cas à Paris.”
Pascal Bonafoux d’ajouter sur ce thème : “En Inde, j’ai découvert que pour dire oui, on faisait le signe 18 non. Respecter une tradition, c’est la respecter dans la mesure où elle ne porte en rien atteinte à la liberté de chacun tout en prenant conscience de soi-même, et de son impact dans cette culture.”
Mais nous n’avons pas forcément besoin de nous tourner vers l’autre bout du monde pour constater cet écart, ces différences de pratiques, et ces modulations de visions et de nos représentations.
Pascal Bonafoux en apporte la preuve : “ Par exemple, je me suis retrouvé il y a quelques années de cela, en Toscane, le curé me demande pourquoi je m’attarde autant sur les peintures. Il me parle alors des fresques de la crypte. Il m’y emmène et me décrit le Christ soignant le paralytique lors d’un miracle. Alors, grâce à mes connaissances de l’histoire de l’art je le corrige, c’est le pestiféré. Dû aux tâches. Lui pensait que pendant le nettoyage, c’était de l’usure qui n’avait pas pu partir. Son bagage culturel chrétien ne lui permettait pas de comprendre la fresque comme je la comprenais grâce à mon bagage historique.”
Construction de l’identité et culture du genre
Sigolène Couchot-Schiex soulève la question du genre dans notre éducation et son impact sur notre construction et nos représentations : “En fait, on a découvert qu’il y avait vraiment des différences d’orientation entre les filles et les garçons, notamment sur ce qui relevait de l’enseignement professionnel,Donc, même si on a beaucoup progressé, on s’aperçoit qu’il reste un éventail assez restreint de formations dans lesquelles les filles se dirigent ou plus exactement sont aussi dirigées parce que c’est un processus qui est à double sens. C’est-à-dire que les personnes, les individus, que ce soit les parents, les jeunes eux-mêmes et à tout âge, acquièrent et apprennent à se comporter conformément à leur genre. Et on les contraint à s’y conformer. Donc, c’est un peu un double mécanisme qui est à l’œuvre dans ces différences de traitement.
Et on s’aperçoit que ça passe par des tas de petites choses du quotidien qui finalement sont réactivées jour après jour, année après année, sur l’ensemble du cursus scolaire. Progressivement, les enfants, les filles comme les garçons, apprennent ce qui est attendu d’eux. Quelles sont les normes auxquelles ils doivent répondre par exemple. Et puis, du côté des enseignants et des enseignantes, on s’aperçoit qu’eux-mêmes étant des individus sociaux, ils sont imprégnés de ces normes et ces croyances. Et ils les reproduisent très souvent à leur insu. Alors ça, c’est un peu plus ennuyeux puisque pour pouvoir faire bouger les choses ça nécessite une formation. En effet ces mécanismes nous échappent car ils font partie de la perception sociale qui hiérarchise des individus, ils font fonctionner des filtres sociaux qui nous conduisent à hiérarchiser des individus suivant justement leur sexe. Et là, on va parler de sexe d’état civil.”
D’après elle, la question de l’éloquence n’est pas importante quant à la forme du discours mais au porteur du discours, et plus particulièrement lorsqu’il s’agit de porter la parole féminine.
“Parce que les études, justement sur les questions de genre, ont montré que la parole des femmes n’est pas toujours très bien reçue dans certains cercles. On parle aujourd’hui de Mansplaining, par exemple. On a bien mis en évidence le fait que la parole des femmes soit interrompue dans les cercles de parole, notamment professionnelle, mais même amicaux. On a aussi le fait que les hommes vont reformuler ce que peut dire une femme, que ce que dit une femme ne va pas être entendue, etc. C’est plutôt ça qui est problématique. Et puis, pour les jeunes, notamment dans ce qui relève du milieu éducatif en général, une jeune fille qui porte la parole un peu haute ou argumentée, on va dire qu’elle est insolente. On va dire qu’elle ne sait pas se comporter. Donc là, on est coincé par les normes sociétales, et ça, c’est un peu ennuyeux. Parce que finalement, tout au long du cursus scolaire, les filles, vont apprendre à arrêter de parler. C »est très fréquent, que les petites filles s’expriment très bien, très longuement, de manière très aisée. On dit souvent qu’elles sont en avance pour la parole, pour la communication, à l’école maternelle. Et à partir du collège, elles vont commencer à se taire. Et au lycée, on dit même qu’on a des classes muettes quand on a des classes de filles. Mais on ne se pose jamais la question de ce qui construit ce processus. Ce n’est pas que les filles perdent leurs compétences langagières, c’est qu’on leur confisque la possibilité de s’exprimer et surtout, que leur parole ait de la valeur. Donc, tant que leur 19 parole n’a pas de la valeur dans le groupe social, pourquoi est-ce qu’elle continuerait à parler finalement? Il y a un titre d’un ouvrage que j’aime beaucoup. C’est Surtout ne nous libérez pas, on s’en charge. C’est un ouvrage coédité par Michelle Rémi Fournelle, une historienne, et je trouve que le titre est tout à fait judicieux. C’est très, très important qu’elles se réapproprient cette parole et que l’on fasse en sorte qu’elles soient écoutées.”
Enfin, le corps social est la somme des corps identitaires des individus, des corps communautaires également.
“Comment prendre en considération les identités, la pluralité des identités, notamment à un moment où les jeunes sont en construction identitaire et où donc c’est extrêmement sensible. C’est extrêmement intime et c’est extrêmement fragilisant, voire ça peut introduire des vulnérabilités qui peuvent conduire à des comportements dramatiques.
Il y a des questions qui sont soulevées par l’étude de la géographie avec la géographie humaine. Comment est-ce qu’elle est fabriquée, façonnée par les comportements humains? Qu’est-ce que l’on va retrouver? Qu’est ce qu’on va retrouver en terme de marquage, du point de vue de ce qui est attendu des femmes ou des hommes ? Donc là, par exemple, les études des espaces publics, c’est très intéressant.”
Il conviendrait alors de se pencher sur nos relations et interactions au cours de la grande Histoire, de prendre en considération nos histoires personnelles, et d’observer nos interactions actuelles dans l’espace public, pour appréhender de manière efficace, inclusive et empathique, le vivre ensemble.
De notre rapport aux histoires et de leur influence sur nos êtres et nos sociétés : les petites et la Grande, individuelles et collectives, et celles et ceux qui la racontent
Sur cette question, vous trouverez en annexe de ce document, le dossier de recherche de Charlotte Bomy qui porte sur L’héritage colonial et la société contemporaine, initier des dynamiques critiques à l’école.
Pascal Bonafoux :
“Ce qu’il faut comprendre, c’est que certains des étudiants venant de milieux ‘défavorisés’, et de quartiers dits “difficiles” ont déjà réussi la “prouesse” de passer le bac, et se retrouvent malgré eux, dépourvus des connaissances nécessaires à une éducation universitaire. C’est-à-dire que, pour eux, l’université arrivait presque trop tard. À l’évidence, c’est dès l’école communale que l’éducation artistique fondamentale doit être faite parce-que c’est là, avec la culture, que ceux qui prétendent à une identité fermée ne font que mentir.”
La parole à l’ère numérique
On peut facilement se laisser tenter par l’idée que l’avènement des réseaux sociaux est une aubaine pour redistribuer la parole dans l’espace public, et qu’ils permettent à ceux et celles qui n’osaient pas prendre la parole de pouvoir s’exprimer en étant moins exposé. Et il est vrai que ces canaux de communication ont permi parfois une certaine libération de la parole comme nous avons pu le constater récemment avec des mouvements comme #MeToo et #Balancetonporc par exemple. Malheureusement, l’anonymat que permet ce mode d’expression mène également à des dérives qui reconstruisent de ce nouvel espace public les mêmes violences que celles qu’on observe dans l’espace public physique. Le harcèlement scolaire en est une illustration avec les 20 harceleurs qui poursuivent leur “proie” jusque dans leur chambre. Les victimes de violences qui s’expriment sur les réseaux sociaux sont exposées aux réflexions d’individus peu empathiques et dont le schéma de pensée n’est pas très abouti par manque de dialogue constructif avec autrui qui leur permettrait d’étayer leur réflexion. La dynamique de cette parole peut alors vite s’emballer, dans un sens comme dans un autre, et mener à des situations de violence déplorables. Ce nouvel espace n’est rien d’autre que lui-même : un nouvel espace. Il n’agit pas fondamentalement sur la parole car il reste un médium. La culture, et celle de la parole, est à l’heure de notre société de communication un enjeu majeur.
Pascal Bonafoux abonde dans ce sens : “ Finalement, aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, les crises, les nouvelles priorités, la culture est tellement tombée en désuétude que nous sommes devenus étrangers à notre propre culture. Il ne faut pas oublier qu’elle est nécessaire. Notre civilisation nous interdit de prendre le temps, or, il faut le prendre. Chaque détail a un sens, une signification, un symbolisme depuis un œil particulier. Le silence face à une œuvre d’art c’est prendre conscience de l’immunité dans laquelle on doit être.”
Apprendre à parler, à s’exprimer, serait aussi apprendre à se taire. Savoir reconnaître lorsqu’il faut écouter autrui. savoir reconnaître lorsqu’on a peut être pas assez réfléchi au sujet pour émettre un avis tranché. Savoir se taire au lieu de juger.
L’intelligence interculturelle est une capacité qu’il est essentiel d’acquérir dès la maternelle. Anton Malafeev, consultant en intelligence sociale et interculturelle, nous explique pourquoi à travers un entretien qu’il nous a accordé.
Les systèmes éducatifs doivent développer l’intelligence interculturelle des citoyens et ce, dès le plus jeune âge. Pour Anton Malafeev, consultant en intelligence sociale et interculturelle, cette capacité doit se forger dès la maternelle. L’intelligence sociale avec l’intelligence interculturelle, assène-t-il, est presque plus importante que les maths. Plus tôt on commence et mieux c’est”.
L’intelligence interculturelle, c’est l’art de comprendre l’Autre. En embrassant sa façon d’être et de se faire, l’interaction devient plus fluide, plus pacifique, plus efficace, et, il est plus facile de cohabiter dans un milieu multiculturel. C’est d’ailleurs sur ce point que réside la différence entre multiculturalité et interculturalité. “ Les gens, très souvent, font l’amalgame de ces mots-là. Le multiculturalisme, c’est un mode de vie. Tout le monde est mélangé. L’interculturel est une discipline qui permet de faire comprendre au plus grand nombre les autres cultures (…) pour travailler ensemble, pour étudier ensemble, pour vivre ensemble, dans ce milieu multiculturel”, indique le consultant d’origine russe.
Anton Malafeev ne se contente pas de nous définir ces notions centrales au cours de cet entretien filmé. Il fournit aussi quelques conseils pour enseigner dans un milieu multiculturel qui s’appuient sur son expérience. “J’ai jusqu’à 50,60 nationalités dans les groupes (…) Au début du cours, il faut mettre le cadre. Il faut expliquer qui vous êtes et d’où vous venez. Le fait de connaître un peu mieux (…) votre historique, ça rapproche, c’est le fonctionnement humain. Après cette présentation, (…) je les divise par groupes, je les mélange exprès.”, explique-t-il posément.
En obligeant ses élèves à brainstormer ensemble malgré des origines culturelles parfois très différentes, Anton Malafeev est conscient de les placer dans une situation d’inconfort. Mais c’est justement l’objectif de son cours : aiguiser son regard sur l’autre et éveiller sa conscience pour comprendre son fonctionnement.
Pour ce faire, ce spécialiste de questions interculturelles insiste sur le choix des termes qu’emploient ses élèves parce que “plus on est précis dans notre vocable, dans notre intention de faire passer une idée, mieux on est compris par qui que ce soit en face”, conclue-t-il.